Camping à la caserne de Fribourg. Le projet de la Poya fâche les Yéniches

11. Février 2025

Des familles fribourgeoises de voyageurs réclament un emplacement d’hiver depuis plus de dix ans. Sans succès. Et maintenant le terrain de l’ancienne caserne leur passe sous le nez.

Patrick Chuard / La Liberté

Le projet d’installer un camping sur le site de la caserne de la Poya, mis à l’enquête par l’Etat de Fribourg la semaine dernière, a fait sursauter la communauté des Yéniches. «Des familles de voyageurs fribourgeois cherchent du terrain depuis plus de dix ans. Nous avons proposé l’an dernier le site de la Poya. On n’a eu aucune réponse… Et nous apprenons tout à coup qu’un projet de camping avec des caravanes est mis à l’enquête là-bas. C’est un peu fort!» s’exclame Albert Barras.

Le coup est rude pour le brocanteur de profession, porte-parole des Yéniches fribourgeois et membre de la fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisses. Il demande: «Pourquoi le canton entre en matière pour des caravanes de sédentaires et pas pour celles des gens du voyage? C’est incompréhensible. Je ne peux m’empêcher de voir dans cette différence de traitement une discrimination ou du racisme envers notre communauté.»

L’aménagement mis à l’enquête par l’Etat de Fribourg vendredi serait, certes, provisoire: il prévoit entre autres des maisonnettes en bois, une place pour des mobile homes, un espace pour des tentes et une buvette pour une durée de 7 ans. Les Yéniches, eux, cherchent un emplacement pour passer l’hiver car le terrain de Châtillon, à Hauterive, est trop petit. Albert Barras alerte sans relâche les autorités: «Une vingtaine de familles n’ont toujours pas d’emplacement fixe d’hiver et doivent se débrouiller.»

Huit familles, dont celle d’Albert Barras, ont trouvé un emplacement provisoire sur un terrain privé en ville de Fribourg, à la route de la Pisciculture. Elles y passent en ce moment leur cinquième hiver. Cette solution s’avère provisoire et n’est pas des plus confortables. «Nous n’avons toujours pas d’évacuation des eaux pour les sanitaires. Et nous manquons d’installations de confort minimum.» Une famille indiquait qu’en 2021 les Yéniches payaient 280 francs par mois pour chaque emplacement, sans compter l’eau, l’électricité et les locations de sanitaires.

Depuis dix ans…

En 2015 déjà, les voyageurs fribourgeois avaient fait un coup de force en occupant avec des caravanes la place de l’Hôtel-de-Ville à Fribourg. Entre-temps, la commune a pris des mesures pour assurer des accueils à la belle saison pour ces «Suisses de la route». Les Yéniches «ont des droits et des devoirs comme tous les citoyens et leur mode de vie est reconnu et protégé. Nous les accueillons dans la mesure du possible et en général cela se passe très bien», témoigne Pierre-Olivier Nobs, conseiller communal en charge de la police locale.

Mais il ne revient pas à la commune de trouver un terrain d’hivernage durable pour cette communauté, mais bien au canton. Après une rencontre avec les voyageurs, le conseiller d’Etat Jean-François Steiert, en charge du Développement territorial, des infrastructures, de la mobilité et de l’environnement (DIME), s’était engagé à chercher une solution. L’acquisition d’un terrain dans le sud du canton est en tractations depuis plusieurs années. Dans un courrier aux Yéniches, la DIME indiquait l’an dernier qu’un terrain pourrait potentiellement être inauguré en 2028.

«Dossier complexe»

Les tractations se poursuivent, à entendre Guido Balmer, porte-parole de la DIME: «Ce dossier, complexe et touchant plusieurs parties prenantes, nécessite la poursuite de certaines études de faisabilité: affectation des surfaces, aménagement, raccordement, accès, etc. La DIME est optimiste quant à l’avancement de ce projet au cours des deuxième et troisième trimestres de 2025.» Il n’empêche que dix ans après le coup de force sur la place de l’Hôtel-de-Ville, les Yéniches commencent à trouver le temps long.

«Albert Barras a fait lui-même des recherches de terrains, il s’active sans relâche et il joue un peu le rôle de médiateur pour les gens du voyage, un poste qui n’existe toujours pas dans le canton de Fribourg, contrairement aux autres cantons suisses», observe François Miche, ethnologue. Il suit la communauté yéniche dans sa quête de places d’hiver. Il témoigne: «Il arrive que de jeunes familles errent des hivers entiers sans trouver une place.» Celui qui est également conseiller général (ps) à Fribourg s’étonne également de la lenteur du dossier et du manque d’empressement de l’Etat à répondre aux gens du voyage: «Il y a dix ans, on annonçait deux nouvelles places pour les Yéniches fribourgeois et il n’en est rien. Pourtant ces compatriotes font l’armée, paient des impôts et ils sont oubliés.»

A l’examen

Dans ce contexte d’attente interminable, Albert Barras imaginait que la Poya serait également un lieu intéressant: «On a proposé au canton un projet appelé Poyanomad, avec des parcelles et un fonctionnement de coopérative. Ce serait une magnifique place d’échange entre les Yéniches fribourgeois et la population de la ville. Nous proposions aussi d’y mettre un dépôt pour du matériel.» Propositions restées sans réponse. Mardi, la DIME indiquait que «l’équipe en charge du développement du projet de la Poya a bien reçu la demande du projet Poyanomad. Actuellement, cette demande est en cours d’examen et n’a fait l’objet d’aucune décision, ni positive ni négative.»

Concernant le camping provisoire mis à l’enquête sur le site, Guido Balmer rappelle que «c’était une des idées évoquées lors du processus participatif en mars 2024. Le projet a également été envisagé en vue des championnats du monde de hockey sur glace, qui auront lieu en 2026. Il est transitoire et n’exclut d’ailleurs pas d’autres utilisations sur le site.»

Commentaire. Notre dette envers les nomades

Le projet de camping provisoire à la Poya agace de manière fort compréhensible les Yéniches fribourgeois, eux qui avaient aussi déposé une demande pour s’y installer. Manquant de places d’hivernage, ces familles réclament depuis plus de dix ans un terrain à l’Etat de Fribourg, proposant d’en payer les frais et la location. Sans garantie pour l’heure d’avoir le moindre mètre carré… Les mois d’hiver paraissent plus ou moins longs, selon qu’on travaille à l’aménagement du territoire dans un bureau chauffé ou qu’il faut sortir chercher de l’eau par –5 degrés la nuit. Ceux qui vivent la seconde réalité se montrent forcément impatients.

La demande de terrain devrait être examinée avec diligence, car notre dette collective envers les voyageurs demeure colossale. La Suisse a arraché de force les enfants des familles nomades pendant cinquante ans. L’abominable programme Enfants de la grand-route, lancé par Pro Juventute, a duré des années 1920 aux années 1970. Au nom d’une raison d’Etat qui considérait les Yéniches comme «racialement inférieurs» et le nomadisme comme «un fléau», des centaines de gosses ont été placés dans des orphelinats ou des familles qui les faisaient travailler, beaucoup subissant des mauvais traitements.

Le Conseil fédéral s’est heureusement excusé pour ce triste passé et les gens du voyage, reconnus comme une «minorité nationale» ayant le droit de vivre selon ses coutumes, sont mieux traités aujourd’hui. Mais ces compatriotes souffrent encore trop fréquemment de racisme et de rejet dans la population. Le canton de Fribourg, qui a lui aussi connu le scandale des enfants placés il y a quelques décennies, serait bien avisé de trouver une solution rapide pour ces nomades. Lesquels sont aussi des Fribourgeois.