Avec de gros financements, Bussigny a aménagé la première aire officielle du canton pour les nomades helvétiques. Ceux-ci l’évitent, de même qu’une autre, en test à Yverdon.
Quand les gens du voyage passent sans s'arrêter, c'est d'habitude le soulagement dans les communes vaudoises. La situation est d'autant plus cocasse: à Bussigny, cet été, on attend et on désespère. Les premières caravanes étaient attendues à Pâques, mais elles ne sont pas venues. Et ça ne s'est pas amélioré. Alors que la saison des nomades bat son plein, l'aire d'accueil que la Ville a aménagée pour eux est vide.
Ce printemps, Bussigny a pourtant fait oeuvre de pionnière: elle a créé la toute première place vaudoise - officielle et pérenne - pour les gens du voyage suisses. Jusqu'ici, dans le canton, aucune place de ce genre n'était réservée aux Yéniches, aux Sintés et aux Manouches, alors qu'il s'agit d'une obligation inscrite dans la loi et la jurisprudence du Tribunal fédéral. La seule aire aménagée - à Rennaz est destinée exclusivement aux nomades étrangers.
De la rivière au parking
Contre toute attente, le bilan est mauvais. Pareil à Yverdon, qui a aussi aménagé une aire officielle cet été pour une phase de test (lire l'encadré). À Bussigny, alors que la nouvelle place peut accueillir dix caravanes en même temps pendant les vacances scolaires, une seule famille y a séjourné jusqu'ici, et pendant dix jours seulement. L'installation a pourtant coûté 180'000 francs, dont une moitié financée par les huit communes du district de l'Ouest lausannois et l'autre par la Confédération, qui soutient ce type d'initiatives en faveur des nomades suisses.
Comment en est-on arrivé là? Municipale chargée du projet, Catherine Calantzis Robert raconte: «Bussigny accueille des familles yéniches au bord de la Venoge depuis une quinzaine d'années. Mais depuis la nouvelle législature, la Municipalité s'est inquiétée du risque d'inondation et de pollution. Les eaux usées partaient dans le sol et dans la rivière, faute d'un système d'assainissement. Il a fallu chercher un autre terrain.»
Pour la Ville, le seul site permettant de réaliser les aménagements nécessaires était le parking du terrain de football, tout près de l'emplacement initial. Sur place, le contraste entre les deux sites est d'autant plus frappant. D'un côté, la nouvelle place est goudronnée et située le long de la route cantonale. De l'autre, le terrain désormais inaccessible est gazonné, avec une vue bucolique sur les méandres de la rivière.
Yéniche et président de l'association des gens du voyage suisses, Stève Gerzner avait l'habitude d'y venir avec sa famille: «Il y avait tout, y compris un accès aux toilettes du stade. C'était un plaisir d'y aller, au contraire du nouveau site! Comme celui-ci est proche de la route, cela pose surtout un problème de sécurité pour les enfants. En plus, il est ouvert seulement onze semaines par an, pendant les vacances de Pâques, d'été et d'automne. La déception est d'autant plus grande que nous avons averti la Commune que ce n'était pas adapté.»
Soucis de communication
Manifestement, il y a eu de la friture sur la ligne entre Bussigny et les gens du voyage. Catherine Calantzis Robert donne en effet un autre son de cloche: «Nous avons pris contact avec Stve Gerzner en amont. Il semblait être la personne idéale pour donner un avis. Nous l'avons rencontré sur place en novembre 2022 et suite à cette rencontre, tous les voyants étaient au vert».
Selon l'élue, les travaux ont donc commencé dès le printemps 2023 afin d'installer l'évacuation des eaux usées, l'accès à l'eau et à l'électricité, ainsi que des bornes pour réguler l'accès. «Ce n'est qu'après, au printemps 2024, que nous avons entendu des critiques. Si elles étaient venues avant, quel intérêt aurions-nous eu à investir?» Elle précise que pour répondre à certaines inquiétudes, une glissière de sécurité existante, entre le parking et la route, a été prolongée en juin dernier. Les signaux étaient-ils vraiment tous positifs? Même en dehors de la communauté des gens du voyage, il semble que non. Fin 2022, un groupe d'étudiants de l'EPFL a en effet eu la possibilité de passer une nuit sur le parking dans le cadre d'un projet sur l'habitat nomade.
Ils se sont intéressés à plusieuieurs communes romandes projetant d'aménager une place pour des gens du voyage, puis ils ont partagé leurs observations. C'était lors d'une séance à laquelle des représentants de Bussigny ont participé, à l'EPFL. «Concernant Bussigny, les étudiants ont expliqué que le site du parking n'était pas propice à l'habitat», se souvient l'architecte Vanessa Lacaille, qui a encadré ce projet à l'époque en tant que professeure invitée. Stève Gerzner, de son côté, précise: «Lors de ma rencontre avec la Commune en 2022, ils m'ont fait comprendre que c'était ce parking ou rien. Alors il n'y avait pas le choix! Mais j'ai bien précisé que ce ne serait pas adapté en l'état, à moins d'étendre le terrain. Il y a eu des promesses, mais rien n'a été fait.»
Autre représentant de la communauté, Marius Gerzner est secrétaire de l'Association Yéniches-Manouches-Sinti. Il estime également que la Commune a été avertie: «J'ai aussi participé aux discussions, mais ils n'en ont fait qu'à leur tête! Je leur ai dit que si le parking était vraiment le seul emplacement possible, alors il valait mieux renoncer!»
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