Les Yéniches ont doublement subi le virus

29. Mai 2020

Même Suisses, les gens du voyage ont été plus mal accueillis que jamais, pour offrir leurs services en porte-à-porte et pour trouver des aires où s’arrêter.

À l’arrêt pendant le semi-confinement

24heures / Chloé Baunerjee-Din

«On a fait 300 demandes avant de trouver un endroit où s’installer.» En temps normal, Fabrice Birchler sait combien il est difficile de convaincre une commune d’accueillir un convoi de caravanes. À l’annonce du semi-confinement, en mars, les choses sont devenues plus compliquées que jamais. Membre de la communauté des gens du voyage suisses, les Yéniches, il a pu trouver une solution à Nyon dans un premier temps, avec sa femme et ses deux enfants. Puis il a dû partir pour Lausanne fin avril, où il occupe le parking de Bellerive avec une dizaine d’autres familles. «On peut rester jusqu’à mardi, mais on ne sait toujours pas où aller.»

Contrairement à d’autres cantons, Vaud n’offre pas encore d’aire de stationnement réservée aux gens du voyage indigènes, quand bien même un projet ait été mis à l’enquête au Mont-sur-Lausanne l’an dernier. Sans point de chute garanti, Fabrice Birchler compte sur les doigts d’une main les lieux où des Yéniches ont pu s’installer durant la crise. Outre Lausanne et Nyon, il cite encore Étoy, Morges et Bussigny. «À cause du Covid, certaines communes ont exprimé le souci de limiter les rassemblements. Cela a restreint les options», observe Etienne Roy, préfet du Nord-Vaudois et médiateur cantonal pour les gens du voyage. Il estime qu’environ une trentaine de convois suisses se trouvent dans divers endroits du canton. Quant aux convois étrangers, plusieurs occupent l’aire d’accueil de Rennaz. «Trouver des lieux est encore plus compliqué pour eux», précise-t-il.

«On a pu se débrouiller grâce à l’aide du médiateur, à des communes qui nous connaissent bien et avec un coup de pouce de la police dans certains cas», souligne Fabrice Birchler. La conseillère d’État Béatrice Métraux a elle-même décroché son téléphone pour trouver des lieux d’accueil, à Montcherand et Orges. L’homme ne cache toutefois pas sa frustration en évoquant une trentaine de caravanes qui a récemment passé la frontière française pour rejoindre une aire de stationnement en Valais. «Alors qu’on doit se battre pour obtenir des autorisations, des convois étrangers sont accueillis et même escortés. On ne fait jamais de forcing, mais cela finit par jouer contre nous.» Exacerbée, cette rivalité rend les lieux de stationnement si convoités qu’ils deviennent des secrets bien gardés, au point que d’autres membres de la communauté yéniche refusent de s’exprimer dans la presse.

«On nous claque la porte au nez»

Les effets secondaires du Covid-19 ne s’arrêtent pas là. Jeune cousin de Fabrice Birchler, Kenzo offre ses services de peintre en bâtiment en faisant du porte-à-porte, comme beaucoup de gens du voyage. «Les activités reprennent gentiment, mais pendant un mois, on n’a pas travaillé. Les gens nous claquaient la porte au nez.» Le Secrétariat d’État à l’économie avait rapidement précisé que le commerce itinérant restait autorisé, dans le respect des normes d’hygiène, mais rien n’y a fait. «Je n’y vois pas une stigmatisation de la communauté, précise Albert Barras, porte-parole romand des Yéniches et lui-même brocanteur itinérant. Les gens avaient peur du virus.»

En alerte dès le début du semi-confinement, la fondation Assurer l’avenir des gens du voyage suisses, qui défend les intérêts des communautés yéniche, sinti et rom, a appelé non seulement à faciliter l’accueil de convois dans les communes, à développer les infrastructures sanitaires, mais aussi à réduire ou renoncer au prix de stationnement. Ces recommandations, établies en accord avec la Confédération, sont pourtant non contraignantes pour les communes. «La Ville de Lausanne a fait un beau geste en nous laissant rester gratuitement, relève Fabrice Birchler. Comme tous les indépendants, on en est à trouver des arrangements pour réduire les charges, mais pour les aides, il n’y a presque rien à part le social.»