On ne s’arrêtera jamais de voyager»: rencontre avec une communauté Yéniche, agacée par les stéréotypes

15. Avril 2024

Environ 25 familles yéniches se sont installées, ce samedi 13 avril, sur un emplacement proche de la plage d’Auvernier, dans le canton de Neuchâtel. Rencontre avec cette communauté suisse, agacée par les stéréotypes à son encontre.

Le Nouvelliste/Jessica Monteiro

Le ciel est radieux, des enfants courent dans les allées vertes entre les caravanes. Les conversations vont bon train autour des tables de jardin, les canettes de bière fraîche et de sodas vidées à la même cadence. Ambiance camp de vacances, sur ce terrain à proximité directe de la plage d'Auvernier? Il s'agit d'un campement de la communauté yéniche, installé samedi et autorisé par les autorités de Milvignes. Une centaine de personnes vivront ici pendant deux semaines. «J'ai senti les regards méprisants lorsque nous sommes arrivés. Ça m'énerve, j'ai l'impression d'être pris pour du bétail», lance Jordan.

Envie de liberté irrépressible

A 23 ans, Jordan vit seul dans sa caravane. Né dans la communauté, il a vécu «hors du voyage» avec ses parents quelques années, le temps de sa scolarité et de son apprentissage en mécanique. Ses parents ont décidé de poursuivre leur vie sédentaire, à Bulle. Jordan est donc retourné au sein de la communauté à l'âge de 19 ans. «Je suis content d'avoir eu cette éducation et d'avoir expérimenté la vie hors du voyage. Mais je n'aimais pas rester au même endroit, je m'ennuyais», explique-t-il. A peine la routine métro-boulotdodo est-elle évoquée qu'il la rejette d'un revers de main. «Mes poils se hérissent rien qu'à y penser! La liberté, c'est ce qu'il y a de plus emblématique chez nous.» La plupart des Yéniches vivent en semi-sédentarité. L'hiver, ils vivent en mobil-home ou en appartement. Jordan passe cette période chez ses parents, qu'il continue de voir régulièrement. «La famille, c'est important pour nous. Presque tout le monde a un lien de parenté ici», note-t-il solennellement. Brenda, la voisine de Jordan, termine le nettoyage de la caravane, tout en jetant un coup d'oeil à ses trois enfants.

L'école à la maison

Femme au foyer, les tâches domestiques lui incombent: repas, tenue du logement, garde des enfants. Son mari Raoul travaille à son propre compte, comme la plupart des Yéniches. Du lundi au vendredi, Brenda revêt sa casquette d'enseignante pour ses filles de 10 ans et cinq ans. Elle les scolarisait auparavant dans un établissement scolaire, le temps de la trêve hivernale de septembre à avril. Puis prenait la relève le reste de l'année. Depuis les confinements dus au Covid, elle a décidé de prendre toute la charge. «Ce n'est pas toujours facile, mais c'est notre normalité. Je ne juge pas les autres, que l'on ne vienne pas le faire pour ma vie», affirme la trentenaire catégoriquement. Un style de vie qui n'est pas au goût de tous. Stève, président de l'association Défense des gens du voyage suisses (DGDVS), dénonce le manque de connaissances générales sur une «ethnie minoritaire, reconnue par la Confédération et pourtant sujette à beaucoup de préjugés. Nous sommes suisses, payons nos impôts et l'AVS comme tout le monde, amenons notre benne pour les déchets ainsi que nos toilettes et payons notre emplacement. Notre revendication est de pouvoir perpétuer notre culture et de voyager sereinement.» Il regrette l'amalgame avec «d'autres communautés qui peuvent poser problème» en affirmant n'avoir en commun avec elles que «le nomadisme». Retour à Auvernier? Ces prochaines semaines sur le terrain d'Auvernier font office de test. Si les relations avec les habitants et les autorités se passent bien, la communauté yéniche espère pouvoir revenir à Milvignes, une des seules communes à avoir accepté de la recevoir. «Le sens de l'honneur est très important: nous respectons notre parole de conserver les lieux en bon état», affirme Stève. «Nous avons préparé nos demandes tout l'hiver et presque toutes les nouvelles requêtes ont été refusées. La Suisse s'est pourtant engagée à préserver notre communauté et notre culture», souligne encore Stève. Ce qui les pousse, affirme Jordan, au forcing: s'installer sur des terrains illégalement en attendant une réponse des autorités, en raison du manque d'emplacements adaptés. «Il faut trouver des solutions politiques, car on ne s'arrêtera jamais de voyager, c'est dans notre ADN», conclut Stève.