Texte: Corina Caduff
Ce sont surtout les Yéniches qui ont été dépossédés de leur famille et origine suite à l’action «Enfants de la grand-route» qui ont témoigné de leur vécu dans des écrits. Leur démarche contribue à intégrer leur expérience dans leur propre vie et au-delà à les rendre publiques.
Au centre des textes des auteures et auteurs d’origine yéniche se trouve surtout l’opération «Enfants de la grand-route»: ils y parlent des retraits d’enfants vécus, d’éducation forcée par des parents nourriciers et dans des foyers ainsi que des placements en cliniques psychiatriques et établissements correctionnels. Mariella Mehr (*1947) a amorcé le mouvement au début des années 1980 en s’affichant elle-même publiquement avec différents livres. Graziella Wenger (*1936) a publié plusieurs livres brochés en 1990 dont ses souvenirs de jeunesse «Zerschlagene Räder» (Roues détruites). En 1995 a suivi l’histoire pour jeunes «Die Kellerkinder von Nivagl» (1995) de Jeanette Nussbaumer (*1947) et enfin, Peter Paul Moser (1926-2003) a publié une autobiographie en trois tomes de plus de 1000 pages dans les dernières années de sa vie. A l’exception de Jeanette Nussbaumer, tous ont été retirés à leur mère durant leurs plus jeunes années. Mariella Mehr appartient déjà à la deuxième génération d’enfants yéniches saisis par Pro Juventute.
Mariella Mehr et Graziella Wenger parlent dans leurs textes de retrait violent de l’origine et de l’appartenance familiale. Wenger se détache du contexte historique concret. Dans les «Jenische Geschichten und Märchen» (1990), récits intemporels, elle imagine une réconciliation sociale dans des stéréotypes mythiques positifs et par des images fabuleuses, comme par exemple ce roi qui traite violemment le peuple itinérant et qui admet sa culpabilité à la fin de sa vie. Mariella Mehr, au contraire, exprime une critique littéraire acérée et soutenue envers les autorités, des personnes précises et les structures sociales.
Parmi les auteurs cités, Mariella Mehr est la seule à être écrivain professionnel. Depuis les années 1980, elle a constamment publié des romans, poèmes et pièces de théâtre et s’est affirmée tôt dans le monde littéraire. Elle a débuté en 1981 avec le roman «Age de pierre» qui parle de ses différents séjours en foyer et en cliniques. Le livre «Kinder der Landstrasse. Ein Hilfswerk, ein Theater und die Folgen», l’auteure met entre autre en scène son dossier Pro-Juventute et les schémas de pensée sur lesquels repose l’œuvre de bienfaisance. D’innombrables romans suivirent au cours des années suivantes où Mehr étendit son travail sur le sujet de la violence également à d’autres domaines historico-culturels. Le roman «Zeus» (1994) représente un point culminant littéraire. Elle relie la critique de la psychiatrie à la critique du mythe de façon extrêmement intéressante. Par son engagement littéraire et politique inébranlable, Mariella Mehr n’a pas uniquement gagné de nombreux prix littéraires mais également une réputation de critique inflexible de l’establishment. En 1998, elle obtint le titre de docteur honoris causa de l’université de Bâle pour son engagement d’auteur.
L’autobiographie contribue au développement et au renforcement de la perception de soi et est un moteur important des volontés émancipatoires. Elle permet d’exprimer et de communiquer des expériences. On peut aussi considérer les œuvres précoces d’Albert Minder dans ce contexte: elles témoignent de la violence qui a duré durant des décennies contre les Yéniches en Suisse, permettant d’intégrer ces expériences dans sa propre vie, de les esquisser au sein de sa propre communauté et au-delà, bien que dans moindre mesure, de les rendre visibles et compréhensibles socialement.