Texte: Guadench Dazzi
Les différentes appellations donnent non seulement des indications sur l’histoire des Yéniches mais également sur l’image souvent négative de cette minorité.
Selon les régions et les époques, on rencontre différentes appellations. Elles reflètent autant le mode de vie et de travail des Yéniches que leur position sociale et légale au sein de la société. Nombre de ces termes ne se rapportent pas uniquement aux Yéniches mais à toutes les personnes dont le mode de vie est itinérant, voire même aux étrangers en général. Presque toutes les expressions citées ici servaient également comme jurons ou insultes dans le langage courant, raison pour laquelle elles ont toutes une connotation dénigrante.
Depuis le Moyen Age tardif, on utilisait volontiers le terme «Tsigane» (all. Zigeuner, it. Zingari, rom. Zagrinders) comme terme collectif pour tous les groupes itinérants, indépendamment de leur origine rom ou yéniche et sans considération du fait que la plupart de ceux qu’on appelait Tsiganes étaient sédentaires, en particulier en Europe de l’Est. Durant les dernières décennies, ce terme souvent négatif a été de plus en plus remplacé par le mot «gens du voyage» (all. Fahrende, it. Girovaghi, rom. Viagiants). Mais ici aussi, on ne peut le mettre au même niveau que le mot «Yéniche». D’une part, tous les gens du voyage ne se définissent pas comme Yéniches, par exemple les forains ou les commerçants itinérants, d’autre part la plus grande partie des Yéniches est sédentaire.
On appelait volontiers les étrangers au mode de vie itinérant «vagabonds» (all. Vaganten, it. Vaganti, rom. Vagants) dès la fin du XVIIIe siècle, les comparant bien vite à des mendiants, voleurs, voyous et escrocs. En Suisse allemande et au sud de l’Allemagne, on rencontre souvent le terme «Jauner», dérivé de «Gauner» (voyou), avec la connotation de «vagabonds voleurs» (cité dans l’Idiotikon, dictionnaire des helvétismes alémaniques). Le mot «Fecker», utilisé en Suisse centrale et dans le nord-ouest du pays comporte une signification semblable, tirant son origine de «fecken», soit rôdeur, fainéant, inconstant.
Le mode de vie et de travail des gens du voyage était considéré au XIXe siècle comme démodé, voire même incompatible avec un mode de vie moderne, sédentaire. Le terme «vagabondage» s’est installé comme mot-clé, comme «terme spécialisé» de caractère légal et médical. Il décrivait d’une part un comportement jugé comme criminel lorsque les personnes contrevenaient aux directives toujours plus strictes du commerce ambulant. D’autre part, des médecins comme le psychiatre grison Johann Joseph Jörger définissaient le «vagabondage» comme un égarement et une maladie héréditaire.
D’autres termes tirent leurs origines des métiers ou services traditionnellement pratiqués par les Yéniches. D’une appellation de métier, on arriva à une appellation de groupe au fil du temps pour tous les Yéniches et gens du voyage, indépendamment de leur pratique ou non de ce métier. Le terme «Kessler» (all. ; it. Pentolaio, rom. Parler) se rapporte à la réparation et à l’étamage de marmites. Celui de «Chacheler» (all.) ou «Spengler» (all.) désigne le commerçant de faïences ou le spécialiste qui réparait des assiettes ou des bols cassés avec des agrafes. D’autres aiguisaient des couteaux ou des ciseaux, raison pour laquelle on appelle encore régulièrement les Yéniches «rémouleur» (all. molet, it. Moléta) en Engadine. En Valais, on les appelle souvent «Chorbeni» ou «vanniers», rapport à leur activité de tressage et au Tessin «ombrellai », soit réparateur de parapluies.
Dans certaines régions de Suisse, certains noms de familles ou lieux d’origine des Yéniches ont longtemps servi d’appellation principale. Ainsi, au nord-est de la Suisse, on appelait les Yéniches «Vazer», puisque certaines familles étaient originaires d’Obervaz. Il en va de même pour le nom «Schwarzenburger» dans le canton de Berne. Dans les Grisons, le nom de famille a été déterminant pendant longtemps pour décrire les Yéniches: «Moser» ou «Waser» sont devenus synonymes de «Kessler» (réparateur de marmites).
L’appellation endonyme usuelle aujourd’hui, «Yéniche», est utilisée depuis le XVIIIe siècle, tout d’abord comme terme pour définir la langue des groupes de population itinérants. Au cours des XIXe et XXe siècles, le mot s’est appliqué non seulement à la langue mais aussi à ses locuteurs. Après 1950, il a de plus en plus été utilisé pour se distancier des autres expressions majoritairement dénigrantes. En 1971, la première organisation de défense des intérêts des Yéniches se nomma «Association de protection yéniche»